LITTERATURE - Lesley BLANCH - Romain, un regard particulier -
COUP DE COEUR
Roman
Romain, un regard particulier de Leysley BLANCH
Romain, un regard particulier, Actes Sud, 1998; Ed. du Rocher, Paris, 2009
Lesley Blanch fut l'épouse de Romain Gary. Elle en donne un portrait à la fois tendre et sévère, celui d'un être inachevé
En 1944, dans un Londres ravagé par les V 1, Lesley Blanch, une jeune Anglaise très chic, qui écrira elle-même de beaux livres, comme Les Sabres du paradis, rencontre au cours d'une soirée un «ours brun maladroit», occupé à cracher des noyaux d'olive. Elle trouve qu'il ressemble à Gogol, avec ses paupières lourdes d'Oriental, une chevelure noire partagée par une raie. C'est un lieutenant de l'escadrille Lorraine des Forces françaises libres, un héros. Il s'appelle Romain Gari de Kacew. On prétend qu'il serait le fils de l'acteur Ivan Mosjoukine, tandis qu'il revendique pour père un certain Kacew, gazé à Treblinka. Sa mère, qu'il adore, le vénère et a tout sacrifié pour lui.
Le portrait de Gary (gari, en russe, signifie «brûlez») par celle qui fut son épouse jusqu'en 1962 mêle la tendresse à la sévérité. Courageux et hypocondriaque, macho et naïf, admirateur de Beatrix Potter et de John Donne, séduit par les très jeunes filles et soumis au lien maternel, l'homme est un tissu de contradictions. Lesley Blanch le suit à chacun de ses postes - il est devenu diplomate - et, de Paris à Sofia, de Berne à New York puis à Los Angeles, essaie de ne pas trahir l' «image mouvante» d'un personnage qui frise tantôt le ridicule ou l'odieux, tantôt presque le sublime.
Ainsi, à Hollywood, où le couple séjourne quatre ans, Gary est-il un consul de France désinvolte et un dragueur comblé. Il y achève La Promesse de l'aube, fréquente John Ford, passe des heures dans sa baignoire, dictant du courrier à une belle secrétaire chinoise. Son égoïsme s'y déchaîne aussi, jusqu'à prendre, selon sa femme d'alors, des «proportions troublantes». Brutal, indulgent envers lui-même, il sera fidèle à ses démons lors de son dernier coup, l' «affaire Ajar», qui meurtrira des proches et, finalement, signera son triomphe et sa propre perte.
Ce destin ambigu n'avait pas échappé à sa première biographe, Dominique Bona, et son propre neveu, le prête-nom, acheva dans un témoignage d'ébrécher une statue édifiée par son modèle en personne. Lesley Blanch, sans jamais hausser le ton ni manifester d'aigreur, aide à comprendre pourquoi le caractère inachevé de Gary l'empêcha de construire une oeuvre faite pour durer. Elle fut écrite à la hâte, souvent dans la douleur, avec une insolence peu justifiée. Rien de tel qu'un regard de femme pour fissurer les légendes.
Critique ____________________________________________________
Lesley BLANCH rend un très bel hommage dans ce roman à Romain GARY, qui fut son époux de 1944 à 1962. Elle nous donne l'occasion de continuer à découvrir ce personnage hors du commun que nous avons tant aimé dans son autobiographie: La promesse de l'aube de Romain GARY.
Romain GARY qui sera également à l'origine de la polémique Emile AJAR et du prix GONCOURT remporté à deux reprises pour:
- Les Racines du ciel de Romain GARY - Prix GONCOURT 1956
- La vie devant soi de Romain GARY (Emile AJAR) - Prix GONCOURT 1975
Romain, un regard particulier est un petit ouvrage qui se lit facilement, il est bien écrit et nous donne vraiment l'envie de continuer à découvrir l'oeuvre de Romain GARY.
Résumé ____________________________________________________
Pendant la guerre, Lesley Blanch rencontre à Londres un jeune aviateur français nommé Romain Gary de Kacew : c'est le début d'une histoire d'amour peu ordinaire qui va lui assurer le dépaysement dont elle raffole tant. Bien sûr, la brillante carrière diplomatique qu'accomplira son époux n'y est pas étrangère : de Sofia à New York, en passant par Berne, Los Angeles, La Paz, Paris, les Gary voyagent, s'étonnent et... déménagent dans tous les sens du terme, à défaut de marcher droit comme l'exigerait le protocole.
Dès le premier regard, Lesley avait décelé chez son amant une troublante ressemblance avec Pouchkine, mais surtout, un personnage d'ores et déjà voué à un grand destin : idéaliste en politique quoique de plus en plus désenchanté, bohème mais hypocondriaque, despote dans le privé mais si séducteur dans les dîners officiels où il roule avantageusement les r et joue de son timbre slave, puissant et voilé, sans rien avoir à craindre de sa femme...
Extraits ____________________________________________________
Mais quand il s'agissait de tenir un porte-plume, elles (les mains de Romain GARY) prenaient une vie toute particulière, labouraient la page avec les mots, frappant comme autant de coups de poignard sous l'effet de la furie, transperçant le papier dans une course rageuse, sans la moindre hésitation: une coulée de mots à peine lisibles, griffonnés avec rage par ces mêmes mains apparemment si maladroites.
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A première vue, je me suis dit qu'il avait l'air d'un ours avançant lourdement sur ses pattes de derrière - un ours brun maladroit, engoncé de façon plutôt négligée...
...Ainsi, l'ours était de surcroît un ours de Russie...
...Telle fut ma première rencontre avec l'homme qui allait se faire connaître sous le nom de Romain Gary , l'écrivain...
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Mais la plomberie fonctionnait et Romain pouvait s'offrir ce qu'il considérait comme le comble du bonheur: se tremper interminablement dans un bain chaud, tandis qu'il préparait un livre en griffonnant des notes sur la paroi de la faïence au moyen des rares tubes de rouge à lèvres qui me restaient.
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